Hillary Rodham Clinton approuve l'exploitation illégale des terres contestées et prend le risque de saboter quatre décennies de diplomatie onusienne en acceptant des fonds provenant du Maroc, selon les critiques.
Clinton, qui a prévu d'annoncer sa candidature à l'investiture démocrate le 12 Avril, a été critiquée pour avoir accepté des contributions étrangères destinées à la Fondation Clinton, dont récemment un don d’un million de dollars de l'OCP, un géant des engrais qui appartient au gouvernement marocain. Ce qui n’a pas été dévoilé dans les rapports initiaux est que l’OCP - l'Office Chérifien des Phosphates - est un acteur majeur dans l'exploitation des ressources minérales du Sahara occidental, un territoire contesté connu comme la « dernière colonie en Afrique » dont le Maroc a pris contrôle depuis que la puissance espagnole coloniale l’eut abandonné dans les années 1970.
« Vous avez entendu parler de diamants de sang. Mais nous pouvons aussi dire que l'OCP expédie le phosphate de sang », le sénateur républicain de la Pennsylvanie Joe Pitts a déclaré à Al-Monitor. « Le Sahara occidental a été repris par le Maroc pour exploiter ses ressources, et [l’OCP] est l'une des principales entreprises impliquées dans cette action ».
Pitts est le co-président du groupe parlementaire du Sahara occidental « Western Sahara Caucus » et de la Commission Tom Lantos des droits de l'homme ; il fait partie d'une poignée de législateurs qui opposent le Maroc, un allié américain de longue date qui exécute un lobbying massif et qui détient des relations publiques à Washington. Le 10 Avril, Pitts a envoyé une lettre à la Fondation Clinton, dont Al-Monitor obtenu une copie, qui a été rédigée aussi par le Président du comité des droits de l’homme de la Chambre des Affaires étrangères Chris Smith, le sénateur républicain du New Jersey, dans laquelle la fondation est appelée à rembourser l'argent et à « mettre un terme sa coordination avec l’OCP ».
Un porte-parole de la fondation n'a pas répondu aux demandes de commentaires via courriel.
La question repose sur l’activité de l'OCP dans une mine de la ville du Sahara occidental de Boucraa, à partir de laquelle la roche phosphatée - un ingrédient clé pour la fabrication d'engrais - est déversée sur la plus longue bande transporteuse du monde, pour arriver vers la côte, à 60 miles de là. Selon un avis juridique publié par l’ONU en 2002, l'exploitation des ressources naturelles des soi-disant territoires non autonomes, tels que le Sahara occidental, n’est considérée légale que si elle se fait au profit de la population locale.
L’OCP et Rabat lancèrent une campagne de lobbying afin de convaincre le monde que le Maroc, qui revendique le Sahara occidental, dépense beaucoup plus d'argent pour le développement de la région du désert qu'il n’en gagne à partir de l’exploitation de ses ressources naturelles.
« En effet, ce qui est produit dans le Sahara ne suffit pas pour répondre aux besoins fondamentaux de sa population », le Roi Mohammed VI déclara a l'ONU l'an dernier. « Permettez-moi de dire ceci, en toute sincérité: les Marocains ont assumé le coût de développement des provinces du sud. Ils ont payé de leurs propres revenus et des économies destinés à leurs enfants afin que leurs frères du sud puissent mener une vie digne d'un homme ».
Les défenseurs des sahraouis considèrent que la seule façon permettant au Maroc de prétendre qu’il [œuvre] pour le bien de la population locale, serait [pour le Maroc] de lui accorder enfin, un vote pour son indépendance, une demande maintes fois mentionnée par plusieurs résolutions de l'ONU soutenus par les Etats Unis et qui remontent à 1990.
« L’OCP est le premier bénéficiaire de la guerre et le premier bénéficiaire de l'occupation. Cette entreprise encaisse sur la misère de milliers de réfugiés et des centaines de prisonniers politiques durant les 40 dernières années », déclara Mohamed Yeslem Beat, l’envoyé de Washington du Front Polisario, qui prétend diriger un gouvernement sahraoui en exil basé à Tindouf, en Algérie. « Ils font cela parce qu'ils sont conscients des chances dont Hillary jouit pour atteindre la présidence des États-Unis. Et ils veulent qu'elle soutiennent leur occupation brutale du Sahara occidental ».
Covington et Burling, qui font pression sur le gouvernement américain pour le compte de l'OCP, n’ont pas répondu à une demande de commentaire. Le PDG de l'OCP, Mostafa Terrab, était lui-même un lobbyiste enregistré aux Etats-Unis jusqu'à l'année dernière.
Le Maroc et ses alliés rétorquent que le Front Polisario - un mouvement rebelle soutenu par l’Algérie et entretenant dans le passé des liens avec Muammar Kadhafi en Libye et le régime communiste de Cuba - exploitent le peuple sahraoui et le gardent enfermé dans des camps du côté algérien de la frontière. Dans un discours devant l'ONU en Novembre, le Roi Mohammed VI a précisé qu'il n’avait pas l'intention d'abandonner les revendications marocaines concernant le territoire.
« Le Sahara est une question existentielle cruciale, et non seulement une question sur les frontières », déclara Mohammed VI à l’ONU à l’occasion du 39e anniversaire de Marche verte de 1975, lorsque plus de 300 000 Marocains ont défilé dans le territoire que l'Espagne a quitté . « Le Maroc demeurera dans son Sahara, et le Sahara restera une partie du Maroc, jusqu'à la fin des temps ».
Le don de l’OCP à la Fondation Clinton, qui a d'abord été rapporté par Politico, serait destiné à financer une réunion de l'Initiative mondiale de Clinton qui sera tenue en mai à Marrakech. Ce serait une première au Moyen-Orient et en Afrique, et mettra en vedette ces gros bonnets que sont l'ancien président Bill Clinton, le roi Mohammed VI et les présidents du Rwanda et de la Tanzanie.
Hillary Clinton a elle-même loué le Maroc comme étant un « carrefour vital pour les échanges économiques et culturels », lorsqu’elle annonça en Septembre dernier la tenue de la réunion (elle ne fit aucune allusion aux largesses de l'OCP à l'époque). Dans un communiqué de presse, le centre américain marocaine pour la politique (Moroccan American Center for Policy), le principal organe de lobbying de Rabat à Washington, a vanté «les efforts récemment déployés dans le but de tirer parti des ressources en phosphate du pays - un des importants composants d'engrais - pour renforcer la sécurité alimentaire ».
Selon un étude menée par le magazine français Jeune Afrique sur les 50 personnes les plus influentes du continent africain, Terrab est un ancien fonctionnaire de la Banque mondiale et s’est engagée à « démocratiser l'accès aux engrais pour les agriculteurs de l'Afrique ». Bien que ces informations aillent de pair avec la mission de la Fondation Clinton, la réunion qui sera tenu à Marrakech intervient également à un moment où les exportations du Maroc du Sahara Occidental sont soumises à une surveillance accrue dans le monde entier.
Le Parlement européen a voté en 2011 sur la révocation d’un accord de pêche qui a permis à la flotte de l'UE de pêcher dans les eaux du Sahara occidental, jugeant que l'accord avec le Maroc était illégal puisque le peuple sahraoui n’a pas eu son mot à dire en la matière. Mais, [le Parlement européen] a changé d’avis en 2013. Western Sahara Resource Watch, une organisation scandinave à but non lucratif qui attaquent les entreprises profitant de l'exploitation de la région, a publié l'année dernière sa première liste exhaustive des compagnies d’engrais qui importent des phosphates du Sahara occidental.
« Je pense que [le don à la Fondation Clinton] vise à être en mesure de continuer à exploiter ces ressources, alors que de plus en plus de gens sont conscients de la façon injuste de ce qui se passe », a déclaré Suzanne Scholte, une militant des droits de l'homme du parti républicain qui préside la fondation américaine à but non lucratif Western Sahara. « Je considère que cela n’est qu’une tentative pour obstruer ces gains ».
Scholte estime que le vote le mois dernier par le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine en faveur d’un « boycott mondial des produits de sociétés impliquées dans l'exploitation illégale des ressources naturelles du Sahara occidental » fait preuve de l'isolement croissant du Maroc. Le Maroc est le seul pays du continent africain qui ne fait pas partie de l'Union africaine en raison de son occupation du Sahara occidental ; cependant, l'UA reconnaît le gouvernement du Front Polisario en exil, la République arabe sahraouie démocratique, en tant qu'état membre [de l’UA].
« Je ne crois pas que les [responsables] à Washington se rendent compte de l’ampleur du soutien dont les Sahraouis bénéficient dans tout le continent africain », déclara-t-elle à Al-Monitor.
Ceux qui critiquent le Maroc estiment que le don à la Fondation Clinton est une tentative de laisser croire que la souveraineté du Maroc sur ce qu'il considère sa « province méridionale » jouit d’un soutien mondial. Ceux-ci soulignent un effort de lobbying similaire au Congrès, où le champion du Maroc, le représentant Républicain de Floride au Comité d’attribution des budgets du Congrès, Mario Diaz-Balart, a présenté un projet de loi omnibus sur les dépenses pour l’an 2014. Ce projet de loi dernière permet aux États-Unis, pour la première fois, de dépenser les aides étrangères consenties au Maroc en Sahara occidental, ce qui contredit clairement la politique américaine qui ne reconnait pas la souveraineté du Maroc sur ce territoire en question.
Pitts et Smith exprimèrent, dans leur lettre conjointe, leurs inquiétudes quant aux violations probables de l'OCP de l'accord de libre-échange établi en 2004 avec les Etats-Unis. Cet accord a été accompagnée par un rapport rédigé par le Comité des voies et moyens – et soutenu par Pitts - stipulant clairement que les avantages octroyés par l’accord commercial ne s’appliquaient pas aux importations en provenance du Sahara occidental. Le Maroc et l'OCP sont soupçonnés de vouloir mettre fin à ces restrictions.
« Compte tenu du fait que l'avis du Congrès sur l'ALE a été précisé dans le rapport du comité et non dans le texte de base, cela m’étonnerait que les alliés du Maroc n’essaient pas éventuellement d’embrouiller la politique de l’ALE », un fonctionnaire de la Chambre des représentants qui suit la question de près dit à Al-Monitor.
*Note de la rédaction: Cet article a été mis à jour depuis sa publication initiale.